Nouveau monde !

Et c’est le départ : dans la plupart des communes, les conseils municipaux élisent leur chef de meute et s’installent. Adjoints, commissions, budget, tout cela prend forme pour servir au mieux les administrés. Ils ont seulement six années pour tenir les promesses électorales, alors il n’y a pas une minute à perdre.

À ce moment précis où le ciment de l’équipe est encore frais, les toutes premières idées qui prennent vie, les toutes premières actions réalisées sont les bourgeons de la ligne prioritaire des équipes. Ce qui les rassemble, le symbole de leur pouvoir tout neuf.

Et dans notre douce campagne, les actions en questions concernent principalement… la sécurité. Pas la sécurité routière, non. La sécurité de nos biens. Le maître mot c’est la vigilance. Vigilance envers les rôdeurs, les jeunes (terme utilisé en tant que synonyme du mot « personne pas très fréquentable » chez nous), les voleurs, les incendiaires, et bientôt les terroristes (qui sont partout, tapis dans les champs).

Dans nos jolies contrées bucoliques, la priorité absolue c’est la méfiance, le repli, la surveillance. Pas le dérèglement climatique, ni le soutien à l’agriculture, ni l’économie de proximité, encore moins la solidarité, non. C’est la sécurité, parce qu’on n’est pas en sécurité chez nous. L’ennemi nous guette, il est à nos trousses. Seuls les détenteurs du pouvoir peuvent nous protéger alors merci à eux pour leur dévouement.

J’ai beaucoup entendu parler ces temps-ci du « monde d’après », celui d’après l’expérience du confinement, et du constat, par exemple, qu’un changement de mode de consommation n’engendre pas la mort instantanée de celui qui le pratique. Cette piste me paraissait intéressante mais finalement, tout cela est tellement accessoire. Le monde d’après, c’est d’abord la sécurité et l’individualisme. What else ?

Et notre Val, toujours, comme elle aime à le dire « droite dans ses bottes », entame sa progression sur cette voie. En recevant le dernier flash info, je me suis surprise à penser que parfois, le problème, c’est les bottes.

Sur ces étonnants constats, je pars méditer. Mais avant je vais aller relire la définition de l’optimisme.

Fin de mandat

Un mandat qui arrive à son terme, six année à travailler d’arrache-pied (l’une des expressions favorites de Val) pour le bien de notre beau village et de ses joyeux habitants.

Je pourrais passer en revue les nombreuses réalisations, tous les projets qui ont été concrétisés au cours de ce mandat mais j’aurais peur de lasser le lecteur avec une interminable narration alors je vous résume sous la forme d’une liste synthétique :

  • la réhabilitation des bâtiments municipaux → on verra ça plus tard,
  • la cantine scolaire → pareil
  • l’aménagement paysager → c’est bientôt mais pas maintenant,
  • Le festival International Point de Croix et Ruralité → voilà une affaire qui roule,
  • Le rallongement de la pause méridienne (la marotte de notre Val municipale) → C’est fait, victoire ! Oui car notre toute petite école est depuis quelques mois devenue un RPI (regroupement pédagogique intercommunal) et les temps de transport impliquent une réorganisation des horaires de classe, et ce pour chaque école. Alors un rêve est devenu réalité : la pause méridienne a enfin été rallongée de trente minutes. Cette avancée spectaculaire nous montre que la persévérance est bien la clé de la réussite.

Un mandat se termine, un autre se prépare. Et comme Val m’a aimablement demandé de faire partie de la nouvelle équipe j’ai fait briller ma motivation pour qu’elle ait l’éclat de neuf.

Cet entre-deux mandats étant un peu plus long que prévu, crise sanitaire oblige, les élus-potentiellement-entrants se sont alliés aux élus-prochainement-sortants pour réaliser de nobles et belles actions. C’est précisément là que tout a dérapé : forte de mon expérience de six années, je me suis subitement crue autorisée à lancer des idées à la cantonade, quelle audace. Rapidement bâillonnée, j’ai pu rédiger une lettre de démission en bonne et due forme pour me faire pardonner.

Me voici donc nouvellement non élue, mais décidée à rester une distante observatrice des édiles locaux. Que vont-ils faire de ce terrible pouvoir ?

À présent, puisque j’ai plein de temps, plein de motivation et plein d’énergie je vais probablement enfin m’occuper de mes ongles de pieds. Enfin une saine occupation !

L’élu démasqué

Aïe… Les amis je crois que je viens de me faire griller.

Mes chers abonnés, votre blog favori est momentanément inaccessible pour une excellente raison qu’il me faut vous conter.

Je rédigeais un nouvel article, un point sur cette troisième année de mandat et sur les nombreuses fois où notre sublime village a été mis en valeur, fêté et glorifié. Pour me détendre un peu j’ai eu l’idée de jeter un œil à un réseau social bien connu doté de plumes et d’un bec (car M.-J. glisse sur les réseaux sociaux telle Lori Petty dans Point Break). Et là, qu’ai-je débusqué au milieu de mes « followers » (c’est le nom qu’on donne vulgairement à tous ces gens pas forcément vulgaires qui suivent mes trépidantes aventures) ? Un profil aux nom et prénom familiers, une certaine Marine, comme ma très charmante camarade adjointe… Comment ? Me dis-je. Comment s’est-elle retrouvée là alors que j’ai pris un soin jaloux à ne rien divulguer de mes bloguesques activités auprès de mes chers concitoyens ?

Premièrement j’ai paniqué. Si Marine sait, tout le monde sait. D’abord parce que je pressens que la découverte de l’élu masqué lui a été soufflée par une tierce personne, et ensuite parce qu’elle n’excelle pas vraiment en matière de discrétion.

Deuxièmement j’ai pratiqué la respiration abdominale et j’ai réfléchi. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On attend. Parce que ma seule certitude est qu’un homonyme d’un membre de mon équipe municipale est l’un de mes lecteurs. À partir de là je peux imaginer que mon prochain article sera lu par notre Val, le contraire serait étonnant. C’est un tout petit peu démotivant.

Troisièmement j’ai usé d’empathie pour me glisser dans les pompes de notre élue suprême. Alors je me dis qu’il y a une place encore pire que la mienne : la sienne… Comment va-t-elle se sortir de là ? Comment me dire diplomatiquement qu’elle est au parfum de ce blog alors qu’elle ne doit pas du tout mais alors pas du tout avoir envie que mes états d’âme de conseillère soient localement diffusés ?

A ce stade il est urgent de ne rien faire. Prenons plutôt quelques semaines de repos, ce que je vous souhaite à tous de pouvoir faire. Votre élue masquée vous retrouve à la rentrée pour un point sur la situation (plus motivée que jamais, évidemment…).

En attendant je me suis inscrite à un stage de vannerie, j’aime bien la vannerie. Tout le monde devrait aimer la vannerie.

Bel été !

Révélation

On m’a dit un jour que « pour comprendre une mairie, tu dois comprendre son budget ». Pour moi, hermétique aux chiffres (d’ailleurs j’ai fait un bac A2, c’est vous dire), ça a d’abord été un coup de massue. J’ai même eu envie de vomir (j’ai la nausée facile).
« Mais comment ? » ai-je bredouillé au bord des larmes. Ce à quoi mon interlocuteur a répondu « Le Grand Livre. Tout est dans le Grand Livre..! ». Et je suis repartie avec ce mystère sous le bras. Qu’est-ce que ça peut bien être ? Un grimoire qui renfermerait toutes les formules municipales ? Soit dit en passant, c’est vrai que j’ai toujours trouvé qu’il y avait une part de magie dans le vocabulaire institutionnel : par exemple, j’adore avoir l’occasion de dire « je te donne mon pouvoir », c’est infiniment plus classe que « je te file le petit papier pour que tu votes en mon nom ». L’idée de me balader avec en poche le « pouvoir » de quelqu’un me fait toujours sourire, vraiment.

Lors d’un conseil, donc, j’ai demandé à notre Val locale si je pouvais consulter ce fameux grand livre afin, lui dis-je, de me familiariser avec le budget de la commune et ainsi cesser de poser d’innombrables questions lors du vote du budget – qui approchait à grands pas.
Un silence gêné a d’abord accueilli ma question, suivi d’un échange de regards ébahis avec notre très neutre secrétaire de mairie.
« Heu… Non ! Enfin, c’est pas la peine, tu ne comprendrais rien »… a émis notre diplomate chef du village.
Après une brève hésitation entre déception et vexation, j’insiste : ça vaut la peine d’essayer parce que, j’en suis sûre, ça me parlera. Rien à faire, c’est refusé. Pour enfoncer le clou, la Neutralité Incarnée (notre néo-secrétaire) avance avec fermeté que ce grand livre est immatériel (je vous le disais, tout cela est féérique).
– « On ne peut pas… l’imprimer ? » ose une Marie-Jeanne tristement rationnelle et de plus en plus perplexe.
– « Non, en plus ça prendrait plusieurs feuilles, c’est pas possible… ».
J’ai baissé les bras devant un argumentaire aussi implacable.

Mais cette affaire a solidement piqué ma curiosité, alors j’ai entrepris de m’instruire toute seule. J’ai trouvé un extrait de grand livre (matériel, celui-là), que j’ai épluché. Il s’agit des dépenses ligne par ligne de la commune, ce qui est beaucoup moins enchanteur que ce à quoi je m’attendais. Mais je dois reconnaître que quelque chose d’incroyable s’est produit. Mon cerveau a intégré des gros mots comme investissement, fonctionnement, amortissement sans que je n’aie mal à la tête. Non seulement j’ai compris ce que je lisais mais je me suis prise au jeu, j’ai trouvé ça presque passionnant tous ces chiffes qui doivent entrer dans la bonne case pour s’équilibrer avec d’autres chiffres… Je n’en suis moi-même pas revenue.

Cette miraculeuse découverte n’aura pas servi à grand chose au final. J’étais absente le jour du vote du budget et je n’ai pas eu l’occasion d’éblouir mes pairs de mes connaissances toutes neuves. Allez, ce n’est que partie remise, plus qu’un an avant le prochain. En attendant je compte m’essayer à la prestidigitation, je sens que ça va m’aller comme un gant et j’adore les nouveaux défis.

Des vertes et des pas mûres

Je passais en mairie en toute neutralité, pour une affaire neutre conformément à la personnalité de notre toute nouvelle secrétaire de mairie. C’est alors que je l’aperçus. Elle était là, disposée au beau milieu du mur, quatre punaises, rien autour, on ne voyait qu’elle : la toute nouvelle affiche du festival International du Point de croix et de la ruralité, deuxième édition.

Comment ? Pourquoi n’ai-je pas été appelée à participer à l’élaboration de celle-ci ? Moi qui ai été force de propositions lors de la première édition, qui ai eu l’honneur d’en réaliser l’affiche et le site dédié, qui ai suggéré une identité visuelle jusque dans la signalétique (proposition rejetée, rien de tel qu’un bon marqueur et une main appliquée)… Ma première réaction a été la colère, le bouillonnement : j’ai été volontairement évincée, c’est une trahison, une conspiration, un camouflet ! Mais heureusement ma grande ouverture d’esprit m’a permis de prendre de la hauteur et d’analyser les faits :

– réalité numéro 1 : je n’ai été conviée à aucune commission animation, mais il y a une excellente raison à cela qui m’a été rapportée par Marine, chargée d’inviter les membres concernés. Sa cousine porte le même prénom que moi, c’est donc tout naturellement qu’elle a envoyé toutes les invitations à celle-ci, qui ne devait rien comprendre la pauvre et a choisi de ne pas manifester son étonnement. Tout s’explique.

– réalité numéro 2, j’ai remis en question la pérennité dudit festival lors du débriefing qui a suivi la première édition. Alors que l’ambition de Val était d’en faire un évènement incontournable sur le territoire et au delà, j’ai brisé son élan en lâchant sans ménagement que monopoliser durant une année la totalité de l’équipe municipale pour n’avoir que 2 de nos administrés parmi les visiteurs, ça pouvait être mal perçu. J’ai aussi suggéré d’impliquer davantage les villageois dans la manifestation en mettant en valeur leurs œuvres, et j’ai terminé en proposant de réaliser moi-même le comptage lors de la deuxième édition. Pourquoi, à émis une Val tremblante ? Pour établir des statistiques sur l’origine géographique des ces fameux 700 visiteurs, et ajuster la communication par la suite pardi. Tout cela elle l’a mal pris, je le sais, c’est un fait…

– réalité numéro 3, je suis assez prise par le temps, et Val le sait. Je fais partie de la commission communication, certes, mais il m’apparaît évident maintenant qu’elle a souhaité préserver ma vie familiale et professionnelle. C’est tout à son honneur. Je la remercierai, je le ferai.

Allez, c’est oublié tout ça. Marine a retrouvé mon numéro, j’ai exposé mon point de vue, j’ai plus de temps pour mes cartes de vœux… Cela dit elle a quelque chose qui ne me plaît pas cette affiche. Le choix de la police (comic sans ms, celle-là…) ? L’élément central vert, sur fond vert, avec le nom du festival écrit en vert (foncé) ? Je suis pas fan du vert, voilà tout. Mais je suis quand même un peu verte.

The wind of change…

Mais que se passe-t-il dans notre paisible village ? La première réponse qui me vient, c’est « rien, bien sûr ». Mais à y regarder de plus près, si, quelque chose a changé.

Les acteurs de la commune, d’abord. Outre notre adorable secrétaire partie en retraite, le personnel de service a été remplacé suite à plusieurs longues maladies. Les recrutements ont tous été menés par un duo Val-Dory méticuleux. Qui dit nouveaux acteurs dit aussi nouvelles méthodes : la nouvelle vague a aussi modifié nos habitudes. Nouveaux horaires et nouveaux aménagements en mairie façon comptoir de banque, forcément on y est moins et moins longtemps. Idem pour le personnel de cantine et de garderie : bon, pas pareil.

Et puis cette prise de conscience de Val, au cours de l’unique conseil municipal depuis cette rentrée de septembre : « nous voici quasiment à mi-mandat. Il faut une action, un projet, en vue des prochaines élections en 2020 ». Tout s’explique. Une candidature ça se prépare. On nettoie, on range, on accélère… et sort de sa manche un projet, vite. Le problème c’est qu’un projet communal, on n’en a pas. Il y aurait bien un truc ou deux à creuser du côté des (nombreux) bâtiments municipaux, mais curieusement dès qu’un membre du conseil tente d’y faire allusion, il se prend une flopée d’arguments au travers du museau qui le renvoie bien vite au mutisme qui est de mise au cours d’un conseil. Une commission spéciale « bâtiments municipaux » a été créée en juin dernier, mais elle n’a jamais été réunie. En même temps ça fait un bon moment qu’aucune commission n’a été réunie, en fait (excepté la commission animation afin de mettre sur pied la deuxième édition du Festival International du Point de Croix).

Non, pour mener à bien son futur projet, Val travaille son nouveau binôme maire-secrétaire, comme elle le nomme. Un binôme qui a même supplanté le tout puissant « bureau », puisqu’il assure la gestion de la commune de A à Z, chapeau bas. Même notre Dory (d’humeur exécrable ces temps-ci) s’en trouve toute désœuvrée.

Voilà où on en est. Pour nous, conseillers et adjoints, ça fait plus de temps pour le taï-chi, le point de croix, ou pour faire des crêpes (c’est bon, les crêpes).

Pot de départ

L’évènement majeur de cette rentrée, c’est le départ de notre secrétaire de mairie préférée. C’est à dire notre unique secrétaire de mairie, celle qui connaît sur le bout des doigts notre joyeux village et chacun de ses habitants depuis plus de 20 ans, celle qui a connu trois maires, collaboré étroitement avec les deux premiers (un peu moins étroitement avec la troisième). Celle qui, en plus d’être efficace et professionnelle, est sympathique et compréhensive avec chacun. Et voilà l’heure de la retraite.

Évidemment, pas question de la laisser s’en aller sans un au revoir en bonne et due forme. Alors chacun s’organise, élus et habitants. Des préparatifs côté mairie qui m’ont donné une vague impression de scène répétée, genre Guignol et Gnafron.

Acte 1
Décor : La mairie
La gentille, Val
La méchante, Dory

– (Val) Pour ce pot de départ exceptionnel, il nous faut une réception exceptionnelle : petits fours, crémant à profusion. On prévoit 200 personnes…
– (Dory, en retard) Qu’est ce j’ai raté ?
– (Val, enthousiaste) 2000 petits fours sucrés et salés !
– (Dory, sourcils froncés) Comment ça ? Mais c’est très cher tout ça, à 50 centimes le toast, on va ruiner la mairie, et le budget école ? Les cadeaux de fin d’année pour nos anciens ? On n’a pas les moyens !
– (Val, l’air soucieux) Hmmm… Tu as peut-être raison : Comment faire ?

A ce moment là, le public croit avoir une idée de génie pour sortir nos 2 amies de cette situation :
– (M.-J., Marine et Sylviane, en choeur) On n’a qu’à les faire !
Échanges de regard de Val et Dory, fin du premier acte.

Acte 2
Même décor
Mêmes personnages
– (Dory) Pour le cadeau, il faut absolument dissocier la mairie des conseillers municipaux. On ne va quand même pas tout mélanger.
– (Val) D’accord. Et pour les habitants, que fait-on ?
– (Dory) Qu’ils se débrouillent ! On leur donne déjà la date, on ne va quand même pas les prendre par la main.

Le public, encouragé par son succès lors de l’intervention précédente, tente une suggestion :
– (M.-J., Marine et Sylviane, en chœur) On n’a qu’à faire une boîte, et puis faire circuler une info dans le village !
– (Dory et Val, en chœur aussi) Non.

Fin du deuxième acte.

(Une information (plus qu’une invitation) a ensuite été posée à la hâte dans les boîtes aux lettres, sans coupon-réponse (Dory a oublié, ça arrive d’oublier), prise en sandwich entre 2 prospectus.)

Durant le dernier acte de cette aventure, dans la salle des fêtes, et après avoir intensément tartiné une journée durant, nous avons pu entendre le discours du premier maire avec lequel notre jeune retraitée avait travaillé au sein de la commune. Il a énuméré les nombreuses actions entreprises durant ces années, tous les projets menés conjointement, et les qualités dont notre chère secrétaire a su faire preuve sans jamais démériter.

Puis le deuxième maire avec lequel elle a collaboré a vanté son professionnalisme et sa grande compétence au travers de tous les dossiers traités les uns après les autres, malgré les difficultés et les contraintes. Il lui a aussi remis l’enveloppe de la part de tous nos administrés (qu’une villageoise a spontanément centralisé).

Enfin, Val a chanté une petite chanson, une ode au métier de secrétaire. Elle compose, aussi.

Merci à tous, le buffet est ouvert !

Rideau.

C’est reparti !

Oui, dans notre paisible commune les vacances c’est sacré.

Durant deux mois c’est la sérénité absolue : pas de commissions, pas de conseil, pas de festivités non plus, rien qui risquerait de perturber notre quiétude estivale. C’est relâche.

J’ai donc profité de ce long fleuve tranquille pour faire le point sur mon investissement municipal. Je me suis ainsi aperçue que je me laisse bien trop souvent aller à me plaindre ou à ironiser sur l’équipe qui m’entoure : pas bien. Alors que j’aurais pu mettre au point des outils ou une méthodologie pour devenir un bon conseiller, que de temps perdu !

J’ai donc décidé que mes bonnes résolutions de rentrée seraient les suivantes :

  • Je positiverai davantage, en cherchant toujours le bon côté de chaque situation et de mes interlocuteurs (c’est facile, je pense qu’il suffit de faire du yoga ou du tai-chi-chuan, j’ai lu ça quelque part) ;
  • Je prendrai la peine de noter et de mettre à disposition de qui voudra tous les outils qui me permettent d’avancer dans ma mission et de mieux décrypter le monde merveilleux des collectivités territoriales.

Voilà, j’ai hâte de me remettre en selle. Val, de son côté est déjà en route pour de nouvelles aventures et nous prépare une année scolaire pleine de dossiers passionnants. En vrac, quelques thématiques annoncées :

  • Festival du Point de Croix, deuxième édition (c’est reparti, chouette) ;
  • Mais que vont devenir tous nos jolis bâtiments communaux inoccupés ? ;
  • Quel avenir pour les fêtes et manifestations du village (c’est vrai quoi, ya jamais personne, alors que l’offre culturelle est là…) ;
  • Comment venir à bout des incivilités qui nous pourrissent la vie (encore des crottes de chien sur les trottoirs, des tontes de pelouse hors créneaux horaires, bref, des nuisances de tous poils)

Je vous prépare un bilan de conseil version 2.0 : clair, neutre, et résolument POSITIF !

(Et là j’y vais, j’ai tai-chi…)

Ça baigne dans l’huile

Notre généreuse mairie met une fois par an la salle des fêtes à la disposition de ses conseillers dévoués pour les remercier de leur engagement. Avantage en nature jugé inapproprié par Bernard, co-second adjoint, mais tant pis, cette année j’ai eu l’honneur d’en bénéficier. Dans la salle des fêtes, il y a une grande friteuse, style professionnelle. Et j’adore les frites. Audacieuse, j’ai donc demandé le prêt de cette rutilante machine, et ma requête a été acceptée. Joie, bonheur, et préparatifs s’ensuivent.

Quatre jours avant ma petite surprise-party, Dory m’annonce qu’un souci majeur se profile pour que j’utilise l’engin : il fonctionne sur le 380 V, et donc se branche dans un local tenu secret, fermé à double tour pour des raisons de sécurité. Elle me donne donc rendez-vous le lendemain pour une formation friteuse en bonne et due forme, « tu comprends, la sécurité… ».

Or le matin du lendemain, rien à voir avec notre affaire, mon très cher mari échange justement quelques mots avec Val au sujet d’un écoulement d’eau communal bouché, et termine la conversation par un maladroit sous-entendu sur la supposée mauvaise foi de notre chef du village… Aïe. La boulette. Je la connais bien, notre Val. Un pressentiment m’assaille car ne dit-on pas « Val contrariée, friteuse confisquée » ?

Bingo, au lieu de retrouver Dory pour notre formation en tête-à-tête, voilà le bureau au complet qui débarque en mairie à l’heure dite. Avec mon fautif époux, on nous invite à gravir les marches. À l’extrémité de l’immense table du conseil, Val trône, l’air grave. Buste de Marianne à sa droite, portrait de notre président national à sa gauche, elle lève à peine les yeux pour nous inviter à nous assoir… « Vous ne me faites pas confiance, vous n’aurez pas la friteuse » assène-t-elle. J’ai déconnecté directement à ces mots en pensant à ma reconversion professionnelle dans la voyance, une activité lucrative. Mon preux mari, lui n’a pas décroché, il s’est battu vaillamment et a démonté un a un tous les argument avancés par nos accusateurs (je cite en vrac : c’est dangereux une friteuse, et s’il y a des enfants, et si tout le monde se mettait à la vouloir notre friteuse qu’elle est à nous…). Et il a obtenu gain de cause, quelle fierté, on a les droits : la friteuse est à nous, c’est bon pour une fois, mais il faut qu’on aille la brancher ailleurs et à l’insu des villageois, et qu’on arrête de dire du mal aussi.

Voilà une belle victoire. En sortant, alors que j’en étais toujours à mon plan de carrière, mon dévoué conjoint est allé acheter quatre friteuses neuves. Et qu’on n’en parle plus.

Pas de malaise…

 Malaise : N.M. Sensation pénible, mal localisée, d’un trouble physiologique. Brusque défaillance des forces physiques pouvant aller jusqu’à l’évanouissement. État, sentiment de trouble, de gêne, d’inquiétude, de tension.

Larousse

Notre dynamique mairie est aussi employeur. Elle emploie pas moins de sept personnes, tous postes confondus.

Nous avons d’abord deux agents techniques. Ils entretiennent nos bâtiments et nos espaces verts depuis de nombreuses années. L’un d’eux est malheureusement en arrêt : dépression. Des soucis perso, explique vaguement Val. Par discrétion, personne ne pose de questions.

Il y a le personnel de cantine et de garderie. Elles sont étaient quatre, pour encadrer nos bruyants marmots, assurer leur sécurité et la propreté des locaux, essuyer des nez qui coulent, et autres réjouissances de la petite enfance. En fait il n’en reste qu’une. Deux d’entre elles sont en arrêt de longue durée pour des troubles musculo-squelettiques, à ce qu’on raconte c’est assez courant. Et assez handicapant. J’ai d’ailleurs croisé l’une d’elles qui marche à grand peine parce que les opérations n’ont pas suffi. La deuxième attend qu’un médecin se prononce sur sa capacité à reprendre son poste. La troisième démissionne, officiellement parce qu’elle déménage (à 10 kilomètre de chez nous). Et la quatrième souffre d’une sciatique : c’est notre Atsem, elle tient bon pour le moment mais compte les jours jusqu’aux vacances.

Enfin il y a notre secrétaire de mairie. Elle a toutes les qualités : pro, efficace, ordonnée, sympathique, compréhensive… Mais elle s’en va. Après 30 ans de bons et loyaux services elle prend sa retraite anticipée.

Deux postes rescapés sur sept, voilà qui donne beaucoup de soucis à notre vaillante Val : des arrêts de travail renouvelés, des contrats de remplacement, des entretiens d’embauche… Elle recrute à tour de bras, toujours en local, et uniquement des personnes qu’elle connaît : elle le dit très bien, on ne sait pas sur qui on peut tomber en diffusant une annonce. Et elle peine. « Les gens ne veulent pas bosser, entre ceux qui se font arrêter et ceux qui refusent des tâches de leur contrat, on ne s’en sort pas ». Elle a sûrement raison.

Un jour l’un de nos administrés a lancé, en parlant de la commune en général, « il y a un malaise ». Val l’a trouvé méchant.

Mais étrangement, je me sens moi-même un peu mal à l’aise là dessus : au final ces sept personnes employées par notre douce commune sont nos collègues, elles sont là comme nous au nom du service public alors que certaines d’entre elles ne nous connaissent même pas. Qu’aucun d’entre nous, conseillers, n’a jamais vraiment pris de nouvelles de ceux qui sont absents, pas de fleurs, pas de mots d’encouragement. Que le mot « prévention » n’a jamais été prononcé. Que les personnes qui quittent volontairement leur poste n’ont pas été retenues.

Je n’en parle pas à Val, mais je dois être moi aussi une bien méchante personne : je me dis souvent « il y a un malaise ».